Les Ogres

Les Ogres, Léa Fehner, 2015 (DVD disponible à la bibliothèque de Grenoble, visible sur Mubi, UniversCiné, myCanal, Orange)

C’est l’été, le monde se presse sur les plages du Languedoc. Parmi les activités estivales, une troupe de comédiens itinérants propose aux vacanciers un spectacle tiré de L’Ours, farce en un acte de Tchekov, dans une mise en scène qui tire sur le cirque. Nous suivons les pérégrinations de la troupe.

Le film de Léa Fehner, Les Ogres commence par une longue séquence de... théâtre. Et c'est épatant. C'est aussi drôlement culotté, car la réalisatrice a embauché ses parents et fait appel à sa propre histoire familiale pour évoquer la vie de troupe. Ce n’est probablement pas le moindre intérêt du film que de montrer l’envers du décor, ou plutôt le va-et-vient des acteurs des coulisses à la scène et ces parties théâtrales sont tournées avec une grande maestria par une caméra virevoltante.

Une troupe, c’est un projet, une vie en commun mais c’est aussi la somme d’individualités au caractère bien trempé. Si ce genre de vie offre une bonne dose de liberté, il implique aussi son lot de contraintes et de responsabilités. En premier lieu pour le directeur, mais pas seulement puisque chaque élément de la troupe est indispensable au bon fonctionnement de l’ensemble. Tout cela n'est pas de tout repos, dans tous les sens du terme : il faut jouer, bien sûr, mais aussi monter et démonter le chapiteau, négocier avec les municipalités, gérer les problèmes, voire les drames, qui se succèdent. Sans oublier la vie de famille, les enfants qui n’en font souvent qu’à leur tête, les amours, la vie de couple qui s’insère tant bien que mal dans la vie de la troupe. Le film n’est pas parfait. Il aurait sans doute gagné à être un peu resserré. Mais ces « ogres » dégagent une telle énergie, un tel appétit de vivre et de jouer que l'ensemble est drôlement réjouissant. À l’image d’Adèle Haenel qui, enceinte jusqu’au cou, manque d’accoucher sur scène en robe de mariée. Elle est époustouflante.

Françoise Wirth

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Coup de tête

Coup de tête

Réalisé par Jean-Jacques Annaud en 1979

Synopsis

François Perrin, fort caractère, est un ailier droit dans l'équipe de football amateur de la petite ville de Trincamp. Le président du club est également le patron de l'usine où il travaille. Après un coup de gueule, il est renvoyé du terrain et perd son emploi à l'usine.
Et pour corser le tout, il est accusé d'un viol qu'il n'a pas commis. 

Mais l'équipe doit jouer en coupe de France, c’est l’honneur et la reconnaissance de la ville qui est en jeu. 

Trincamp et tous ses habitants ne peuvent absolument pas se passer de Perrin pour avoir des chances de victoire.

Quelques raisons pour voir/revoir ce film :

Un scénario et un dialoguiste confirmé

Alain Poiré, directeur et producteur de la Gaumont, choisit Francis Veber pour ce film. Je pense qu’il n’est pas besoin de présenter l’auteur des François Pignon, joués principalement par Pierre Richard, ainsi que  « Du grand blond... », mais il sort d’un projet qui n’a pas marché « Le jouet ».

Les deux hommes se ressemblent et se complètent :

-  Annaud invite Veber à déjeuner dans des bistrots sordides des villes de province où ils se rendent, en quête de décors naturels adéquats ; ils évoquent leur même admiration pour la comédie à l'italienne, pour le sens du tragique dérisoire de Dino Risi ou d'Alberto Sordi. C'est cet esprit qu'ils insufflent, ensemble, au film.

  - Francis Veber écrit le scénario de « Coup de tête » d’après la vision du réalisateur. C’est un perfectionniste tout comme Jean-Jacques Annaud. Son premier scénario est refusé et réécrit à trois reprises. 

Francis Veber a développé les situations comiques et il a réécrit la deuxième partie du film : l’illustration du proverbe “La vengeance est un plat qui se mange froid” : la revanche de François Perrin. Pour le scénariste, il n’y a pas de vengeance, juste des menaces à l'encontre de ceux qui l’ont mené à être un paria dans cette petite ville.

Francis Veber dit que “ce fut l’un de ses scénarios le plus difficiles à écrire, mais qu’il en est le plus fier”

Un compositeur de musique de film : Pierre Bachelet

Au début de sa carrière, Pierre Bachelet n'est encore qu'un illustrateur sonore dans le monde de la publicité. Durant les années 70, Pierre Bachelet est connu et reconnu pour les bandes originales du premier « Emmanuelle », ainsi que, dans un autre genre, « Les bronzés font du ski ».

Par l’intermédiaire de la publicité, il collabore avec Jean-Jacques Annaud sur ses deux premiers films. 

Pour contrebalancer cette satire sociale de « Coup de tête », il trouve une mélodie ironique et populaire dont il aura l'idée de faire siffler le thème principal.

Un casting de seconds rôles de premier choix

Produit par La Gaumont, Jean-Jacques Annaud a choisi ses seconds rôles parmi les acteurs en contrat chez ce distributeur, parmi eux :

Jean Bouise, Michel Aumont, Bernard-Pierre Donnadieu, Hubert Deschamps, Gérard Hernandez, Claude Legros, ….


Alain Poiré est en désaccord avec Jean-Jacques Annaud sur le fait que Patrick Dewaere soit dans la distribution, il est hors de question qu’il soit l'acteur principal. Mais nous y reviendrons plus tard.

Un jeune réalisateur dans les montagnes russes

En premier lieu, Jean Jacques Annaud réalise de nombreux spots de publicité aussi bien pour la télévision, le cinéma mais surtout pour de grands groupes avec de forts budgets. (Certains de ces budgets sont estimés à  ¼ de celui de « Coup de tête »).  

Par l’intermédiaire de François Truffaut, il contacte Claude Berri, comme producteur, avec qui il réalise son premier film, « La Victoire en chantant » en 1976. 

La sortie est un échec commercial et dans la presse également. Même Claude Berri n’était pas très enthousiaste dès l’origine du projet.

Jean-Jacques Annaud est dépourvu face à cet échec : le téléphone sonne peu voire pas du tout, pas de sollicitation de la part de son producteur. 

Il se pose des questions : abandonner ses rêves de cinéma et retrouver le confort économique en retournant des spots publicitaires ?

Dans les mêmes moments, sa vie privée vole en éclat (divorce annoncé) : “ Est-ce dû à cet échec ? ”

Sans qu'il le sache ou sans qu'il en prenne conscience, son premier film « La Victoire en chantant » est présenté à l'Oscar 1977 du meilleur film étranger : dans la nuit, il l’apprend par Claude Berri. Et le lendemain matin, le flash info commence par cette bonne nouvelle : Oscar du meilleur film étranger.

Coïncidence, certes non, toute la presse française et américaine le contacte. Surtout Claude Berri ne cesse pas de l'appeler pour le féliciter et lui conseille de refuser toutes propositions éventuelles/habituelles suite à ce type de couronnement. Dixit les propres propos de Jean-Jacques Annaud, il remarque un changement de comportement.

 

Jean-Jacques Annaud sourit, car il a écrit ses premières notes pour son second film « Coup de tête ». Il traverse des péripéties similaires au personnage de son prochain film, c’est bien lui, ils vivent les mêmes sensations. Rejeté un jour puis adulé pour peu de temps.

Un grand acteur : Patrick Dewaere

Comme évoqué plutôt, le nom de Patrick Dewaere fait fuir les distributeurs, et surtout les assurances. Ces dernières ne veulent plus l’assurer sur un tournage à cause de son addiction à la drogue dure. De plus, le nom de Patrick Dewaere n’est pas “bankable”, préférant Gérard Depardieu. Ils étaient partenaires dans ‘Les Valseuses’.

Malgré ses nombreux rôles avec une bonne interprétation, la récompense du monde du cinéma n’est pas au rendez-vous  (ni prix, ni César sur 6 nominations). Profondément blessé, il se dit qu’il est un acteur mineur.

Jean-Jacques Annaud obtient l’assurance de Patrick Dewaere d’être “clean” sur le tournage, car ce film l'enthousiasme ainsi que le genre de film : la comédie sociale.

Le réalisateur est ravi de travailler avec Patrick, il est impressionnant par son « immense tendresse et sa grande violence », mais aussi par son professionnalisme, à savoir : connaître son texte par cœur quelle que soit la longueur de la prise. Le tournage fut agréable. 

La performance d’acteur de Dewaere est pourtant fantastique : il est à fleur de peau, rendant son charisme naturel et sa performance plus magnétiques que jamais.

 

Après le tournage, Patrick fut blacklisté dans tous les médias après avoir été accusé d’avoir frappé un journaliste. 

Sans promotion « Coup de tête » ne connaîtra pas le succès du box-office. Ce film a eu de “petites critiques positives” dans la presse. 

De plus, le film n’intéressa pas les spectateurs qui n'apprécient pas le football. Les autres sont fâchés et se sentent trahis par cette satire grinçante : l’envers du sport qui n’était pas aussi connu à l’époque qu’aujourd'hui.

Il est découvert et apprécié à sa juste valeur lors des diffusions de la télévision.

« Coup de tête » est le seul film de Jean-Jacques Annaud qui n’a pas été distribué à l’international (malgré une tentative américaine). 

 

Bonus :

Thème du film

C'était quoi Patrick Dewaere ? - Blow Up - ARTE

Patrick Dewaere évoque sa vie (1981)

Entrée Libre se fait des films : « Coup de tête »

Où voir ce film ?

Ce film est disponible sur :

  • Sur la plupart des sites de VOD, 
  • En DVD/ Blu-ray
  • Sans oublier en prêt à la bibliothèque municipale de Grenoble. (Kateb Yacine - Grand Place)

 

Fiche rédigée par Christophe Germain

 

La lettre de Patrick Dewaere à Jean-Jacques Annaud - 1979

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La petite voleuse

LA PETITE VOLEUSE

Claude Miller, France, 1988, 114 min

Avec Charlotte Gainsbourg, Simon de la Brosse, Didier Bezace, Raoul Billerey, Chantal Banlier, Nathalie Cardone, Clotilde de Bayser.

Synopsis

1950. Dans une petite ville du centre de la France, Janine est une adolescente qui n’a jamais connu son père et qui a été abandonnée par sa mère. Élevée par son oncle et sa tante dans un milieu plus que modeste, Janine étouffe aussi bien chez elle qu’à l’école et rêve de luxe, d’amour et de liberté : tout ce qu’elle retrouve sur les écrans de cinéma qu’elle fréquente assidûment.

Un peu plus

La Petite Voleuse est née de la rencontre entre François Truffaut, Claude Miller et Charlotte Gainsbourg. Le premier crée l’héroïne comme un alter ego féminin d’Antoine Doinel. Mais progressivement celle-ci s’en émancipe pour faire l’objet d’un scénario, centré sur elle, qu'il n'a pas eu le temps de tourner. Après la mort de Truffaut, Claude Miller qui, après 'L'Effrontée', voulait de nouveau faire un film avec Charlotte Gainsbourg reprend le scénario. Il attendra que Charlotte ait 16 ans, l'âge du rôle, pour le réaliser. « Ce qui est émouvant avec les adolescents, c'est que tout ce qu'ils font, ils le font pour la première fois » Truffaut. Claude Miller qui, dans 'L'Effrontée', filmait le passage de l'enfance à l'adolescence nous montre ici le passage de l'adolescence à l'âge adulte. 'La petite voleuse' est une suite de première fois.

Personnellement

Je n'avais jamais vu ce film et je l'ai découvert sur Arte récemment. J'ai aimé ce que j'ai retrouvé de Truffaut, des analogies avec sa propre histoire et son cinéma, son intérêt pour l'enfance malheureuse ('L'Argent de poche', 'L'Enfant sauvage') et rebelle ('Les 400 coups'), la mer comme symbole de liberté : la très belle scène où Janine court vers la mer comme Antoine dans Les 400 coups... J'ai aimé Charlotte Gainsbourg : sa grâce, sa beauté, son sourire nous séduisent et conviennent parfaitement à cette ado de 16 ans pleine de contradictions : enfant et femme, fragile et rebelle. J'ai aussi apprécié les autres acteurs ,chacun dans un rôle bien typé : la tante acariâtre, l'oncle touchant dans sa faiblesse, l'amant qui se préoccupe de parfaire l'éducation de Janine... J'admire la démarche de Claude Miller qui, par fidélité à François Truffaut, accepte de reprendre son scénario et d'en faire malgré tout un film très personnel.

Pierrette Amiot

On peu voir ce film en VOD.

Il se trouve en DVD mais malheureusement pas dans les médiathèques de Grenoble.

Le scénario de Truffaut était-il très élaboré ?

Non. C'était plutôt un canevas de trente pages, avec des personnages bien caractérisés sans description de situations et sans dialogues.

Est-ce votre amitié pour François qui vous a convaincu d'accepter ?

L'amitié et la fidélité. J'ai cherché à respecter l'esprit du synopsis de François. C'est comme si son canevas m'avait donné le 'LA' pour écrire le scénario. Mais j'y ai retrouvé aussi l'un de mes thèmes : celui de l'adolescence qui ne fait pas de quartier avec les sentiments.

C'est un thème qui vous décide à faire un film ?

Non. C'est une émotion. Elle vient d'un livre, par exemple, ou d'un scénario qui réveille un sentiment enfoui en moi...[...]

Vous inventez une vie entière à vos personnages ?

Juste un petit état civil. Très court. Je travaille surtout le coté affectif. Je fais des énumérations : il aime, il n'aime pas. Je n'ai rien invent é : Balzac ou Proust, je ne sais plus lequel des deux, le faisait déjà. Pour Janine, la petite voleuse, j'avais écrit six pages.

Quoi, par exemple ?

Elle aime toucher les objets : elle aime le chaud, le tendre, déteste le froid, le rugueux... C'est toujours très concret ce que j'écris. J'avais procédé de même pour Charlotte dans 'L'Effrontée' et pour Adjani dans 'Mortelle randonnée'.

Quel est votre plus grand plaisir de cinéaste ?

Donner chair et os à des personnages. Réaliser leur incarnation. Et ce plaisir est d'autant plus grand qu'on écrit soi-même les dialogues et les situations.

Le plus important, c'est l'écriture ?

Ah non ! C'est la mise en scène. Et le plus drôle, c'est qu'aussi élaborée soit-elle, elle vous échappe. C'est pourtant elle qui fait le film. Un grand sujet mal mis en scène m'intéresse moins qu'un petit sujet bien réalisé.

Qu'est-ce qu'une bonne mise en scène ?

C'est une mise en scène qui atteint à la vérité humaine. Lorsque l'art arrive à cette vérité, alors l'émotion est profonde. [...]

Etes-vous guidé par les films que vous avez vus ?

Au tournage, non. Mais à l'écriture, parfois. J'essaie d'imaginer comment Lubitsch ou Mineli auraient mis en place une scène avec leur merveilleuse légèreté. Vous savez, je suis atteint de cinéphilie galopante depuis plus de trente ans. Le cinéma, c'est ma culture, mon patrimoine, ma personnalité. Comment voulez-vous que ça n'apparaisse pas dans mes films ?

Extrait des propos recuillis par Gérard Pangon pour Télérama, le 21/12/1988

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A nos amours

A nos amours

Réalisé par Maurice Pialat en 1983

Synopsis

A seize ans, Suzanne vit dans une famille conflictuelle. Elle est proche de son père et partage avec lui des moments de complicité, mais il quitte la cellule familiale.
Ses rapports avec sa mère sont hystériques, teintés de jalousie, tandis que son frère prend la place du père et réprimande violemment Suzanne.  

 

Perdue, en manque de repères, elle se réfugie dans des conquêtes d’hommes plus âgés qu'elle : elle ne tombe jamais amoureuse. Bien qu’elle aime un jeune homme de son âge, elle refuse cet amour sans explication. 

Elle découvre avec lucidité et une certaine amertume qu'elle aime faire avec les hommes, c'est l'amour et rien d'autre. Le reste ne serait-il qu'ennui ou illusion ?

Quelques mots de plus (surtout que le synopsis est très court)

-       La première raison de revoir : la naissance d’une grande actrice

Au moment du tournage, Sandrine Bonnaire a le même âge que son personnage. Elle n’a pas fait de cinéma auparavant, mis à part une furtive apparition dans La Boum. Elle est vite déçue de cette première expérience. N’étant pas spécialement diplômée, ni issue d’une famille aisée, elle ne peut espérer percer dans ce monde.

Elle se donne une dernière chance : Le casting d’A nos amours. 

Son naturel, sa fraîcheur, son insolence et cette désinvolture transparaissent aux essais et conviennent à l'équipe du casting qui en fait part au réalisateur, déjà conquis avant même les essais. 

Cette liberté est bien illustrée par son arrivée dans le film sur la proue du bateau.

A noter que dans le milieu du cinéma, on ne misait pas sur sa longévité artistique, héroïne d’un film sans d’apparence d’un véritable jeu d’actrice. 

Sandrine Bonnaire nous démontre le contraire en 1985, avec son rôle de SDF dans Sans toit ni Loi d'Agnès Varda, ainsi que par la suite de sa filmographie.

Même derrière la caméra, je vous recommande de voir un de ses documentaires Elle s'appelle Sabine : le portrait de sa sœur, atteinte d’un handicap mental.

-       La deuxième raison : la mise en scène

Au départ, il est inspiré du roman de sa femme, Arlette Langmann, soeur du cinéaste Claude Berri, qui décrit une adolescente dans une famille dysfonctionnelle.

Si Maurice Pialat écrit son histoire et ses dialogues avant de tourner, il sait aussi laisser tourner la pellicule, au cas où un éclair de vérité naîtrait.

Plusieurs scènes sont tournées de façon quasi improvisée, mais tellement maîtrisée.

Les plus notables sont celle du dialogue père/fille parlant de sa fossette partie et des ratiches et celle du retour du père.

Il se sert d'anecdotes pour étoffer son scénario et régler ses comptes avec la bien-pensance (évocation d’une note 3/10 attribuée par la critique à son précédent film Loulou).

Pialat se questionne sur cette jeunesse à laquelle il avait déjà consacré deux films (L’enfance nue, Passe ton bac d’abord)

 

Nous avons l’image d’un réalisateur rude, bourru, voire tyrannique. Mais regardez comme ils aiment ses acteurs, et le rôle qu’il donne à une débutante (sans parler de la fidélité à ses techniciens) ! Autre preuve, il est également acteur dans son film : une façon de se mettre à leur niveau. 

Son cinéma dépeint la vie (il était peintre), elle est dure, âpre, sans artifice mais toujours sincère. 

Le cinéma de Maurice Pialat, comme celui de Robert Bresson auparavant, parle à de jeunes et futurs cinéastes : je pense notamment à Emmanuelle Bercot (La Tête haute), Cédric Kahn (Fête de famille) et bien Maïwenn (Pardonnez-moi, Mon roi, …)

-       Autres raisons diverses

Le contexte : 

Nous sommes en 1983 : le socialisme est pour la première fois au pouvoir, 1974 loi sur IVG, dernière année voire derniers mois de la libération sexuelle avec ses plaisirs avant que le SIDA n’apparaisse en 1983/84.  Une mention à Cyril Collard, acteur, metteur en scène et assistant-réalisateur sur Loulou de Maurice.Pialat, son film précédent.

Ce film a reçu le prix Louis Delluc, ainsi que les Césars du meilleur film et du meilleur espoir féminin.

Bonus

Sandrine Bonnaire et Maurice Pialat - A nos amours (1983) interview de Christian Defaye, sur le plateau de Spécial Cinéma, le 28 novembre 1983

Pour en plus savoir Maurice Pialat

Histoires de cinéma | Maurice PIALAT | FilmoTV : Histoires de cinéma | Maurice PIALAT | FilmoTV

Maurice Pialat par Serge Toubiana A l'occasion d'une rétrospective intégrale des longs métrages de Pialat (en copies restaurées par Gaumont), Serge Toubiana est venu nous parler de cet homme. A l'Institut Lumière le mercredi 13 mars 2013.

Notes personnelles

J’ai utilisé le documentaire Il était une fois … à nos amours de David Thompson pour étoffer mon coup de cœur d'anecdotes de tournage. Ce documentaire, présent sur le Blu-ray du film, m’a aidé pour écrire cette fiche. Il n’est malheureusement pas disponible gratuitement sur Internet.

Où voir ce film ?

Ce film est disponible sur  :

  • Amazon Prime (gratuit si vous êtes membre), ainsi que l'intégrale de ces longs métrages,
  • Sur la plupart des sites de vod. 
  • En dvd / bluray (avec de jolis bonus)
  • Sans oublieren prêt à la bibliothèque municipale de Grenoble.

fiche rédigée par Christophe Germain

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Eva en Août

EVA EN AOÛT De Jonás Trueba Avec Itsaso Arana, Vito Sanz, Isabelle Stoffel

En quelques lignes …

Eva en août est un film qui sait prendre son temps, comme son personnage principal, incarné par la lumineuse Itsaso Arana (également coscénariste). Eva a pris le temps d’une escale dans sa vie, elle semble ne pas trop savoir elle-même pourquoi, de même qu’elle ne sait pas très bien ce qu’elle est, peut-être une actrice, mais peut-être déjà plus. Elle est disponible, à elle-même, aux autres, à l’été madrilène étouffant, mais qu’on peut très bien supporter pour peu qu’on le prenne comme une chance, car l’été c’est aussi l’occasion de faire ce que l’on veut vraiment … C’est ce qu’explique Eva à Luis, un ami qu’elle retrouve par hasard. Ce temps qui s’écoule lentement sur la ville et sur ses alentours, ces espaces qui se déploient au fil de l’errance d’Eva offrent un premier niveau de lecture, et invitent le spectateur à partager lui aussi ses moments de bonheur, par exemple devant le beau visage de la statue de Poppée, au musée, durant la fièvre des fêtes nocturnes, ou en éprouvant la fraîcheur d’une rivière, lors d’une excursion hors de Madrid. Au bord de l’eau, se retrouvent quelques-uns des personnages rencontrés par Eva : deux garçons, l’un anglais l’autre gallois, qui chantent les chansons des Brigades internationales ; une comédienne de rue, allemande, et une ancienne amie perdue de vue, invitée avec son jeune enfant. Ce décousu de la vie, le metteur en scène ne cherche pas à trop l’organiser, il laisse, comme son héroïne, advenir retrouvailles et nouvelles rencontres sans vouloir les prolonger ou leur donner une fonction narrative définitive. Mises bout à bout, ces scènes donnent cependant tout son sens à l’errance d’Eva.

Comment devenir une « vraie » personne »

La diversité humaine des rencontres offre un deuxième niveau de lecture au film. Un peu comme dans certains films de Rohmer, mais un Rohmer moins policé et plus direct, la conversation fait aussi son cinéma, et ouvre sur des interrogations existentielles : sur ce que fait de nous le voyage, ou à l’inverse sur le fait de rester dans le lieu où l’on est né, sur la possibilité des recommencements. Aucune clé définitive ne nous est donnée : changer de pays, de ville nous change, mais l’on peut aussi avoir le courage de (se) changer en restant toute sa vie dans le même lieu, comme le suggère l’un des personnages. D’ailleurs Eva elle-même, madrilène, est comme en exil temporaire dans un appartement qu’on lui a prêté. Une nuit, elle ne parvient même plus à ouvrir la porte d’entrée, ce qui la conduit justement à retrouver une amie perdue de vue. Se perdre pour retrouver l’autre, peut-être pour se retrouver soi-même ? Le film est plein de tels micro-récits paradoxaux.

La vierge d’août

Un troisième niveau de lecture, à la fois mystérieux et ironique, nous est donné par le titre espagnol, La virgen de Agosto (« la vierge d’Août ») : le film est aussi un conte sur la féminité (étonnante scène mystico-païenne de « massage » pratiquée par une femme rencontrée … au cinéma), sur ce qui fait que l’on devient femme - avec des règles que les hommes, s’ils les avaient, ne pourraient supporter sans demander un congé à leur employeurs -  et même que l’on peut même devenir mère sans rapport sexuel, un mystère qu’Eva découvre sans que le spectateur sache s’il doit être pris au sérieux. Le secret d’Eva lui appartient et ne sera pas dévoilé. Les références à la vierge apparaissent également au passage des processions, qui débouchent devant le balcon même d’Eva. Vierge parce qu’Eva (ou Eve, la première femme) doit tout réinventer pour exister ? Bien heureusement, tout l’art de Jonás Trueba est d’éviter tout symbolisme lourd : la légèreté, l’insouciance même de l’été sont préservées, d’autant que le film sait capter sa lumière, et cadre admirablement les changements d’espace, faisant jouer les contrastes entre les lieux clos du petit appartement dans lequel Eva s’alanguit et ceux de son errance dans les rues, les places et les jardins. Avec en prime le ciel nocturne et ses étoiles filantes lors de la nuit de San Lorenzo. Un film anti-confinement parfait !

Francis Grossmann

Disponibilité : on peut louer ou acheter Eva en Août sur plusieurs plateformes (CanalVOD, Orange, FilmoTV, Rakuten TV). Le film est disponible à la vente à la FNAC. Une suggestion d’achat a été déposée pour la bibliothèque municipale de Grenoble (Centre ville).

« Eva en août » est votre premier long-métrage distribué en France. Comment en êtes-vous venus à faire du cinéma ? Jonas Trueba : Je viens d’une famille où le cinéma est très présent. Mon père est réalisateur [Fernando Trueba, Oscar du meilleur film étranger pour Belle Epoque en 1994], ma mère productrice. J’ai eu depuis l’enfance une expérience très concrète du cinéma, très quotidienne, sans avoir à en passer par sa dimension fantasmatique. C’est pour cette raison que je me suis très vite orienté vers un cinéma indépendant, une façon artisanale de fabriquer les films. Itsaso Arana : J’ai passé toute ma jeunesse dans l’univers du théâtre et ai fini par monter ma propre compagnie, La Tristura, en 2004. Du coup, le cinéma est resté pour moi quelque chose d’exotique. Je le vois comme un cadeau qui m’a été fait, une possibilité d’étendre ma palette d’actrice. Vous avez écrit le film ensemble. Comment cela s’est-il passé ? I. A.: Jonas m’avait parlé de cette atmosphère particulière qui règne à Madrid l’été, qu’il y avait sans doute un film à faire à partir de cela. J’avais joué dans son précédent film, La Reconquista [2016], et nous avons eu envie de prolonger ce travail ensemble, ce qui m’a permis de me jeter à l’eau. Bien sûr, j'avais déjà écrit et mis en scène pour le théâtre, mais sans cela, je n’aurais jamais osé écrire un scénario. J. T. : J’ai beaucoup d’intérêt pour cette période, la première quinzaine d’août, où Itsaso et moi avons tendance à rester à Madrid, alors que nos familles et amis désertent la ville pour fuir la chaleur. C’est un moment particulièrement cinégénique où la lumière, le calme, mais aussi les fêtes populaires de chaque quartier s’allient pour créer une sorte de temps suspendu, plein de hasards et d’opportunités, de choses qui ne peuvent arriver que dans ces conditions-là. Le film semble très ouvert. Vous avez souvent tourné dans la rue, au milieu des passants. Quelle est la part du prévu et de l’imprévu ? J. T. : Atteindre ce sentiment d’imprévu, de hasard contrôlé, c’était ce que nous visions et la grande leçon du cinéma moderne, de cinéastes comme Abbas Kiarostami, dont les films donnent l’impression de s’inventer en direct. Comme le préconisait Jean Renoir, l’art consiste à assumer l’artifice, la construction, la manipulation, tout en laissant une brèche ouverte pour que la vie puisse s’y insérer, qu’elle marque la fiction de son empreinte. Notre but était donc de nous insérer dans la réalité des fêtes de quartier et de trouver le bon équilibre pour l’articuler aux besoins de la fiction. I. A. : Mon personnage se plonge dans la foule, parmi les passants. Il s’agissait de se tenir disponible à ce que le réel pouvait nous apporter, de laisser les choses venir. Cela pouvait contrecarrer parfois ce qu’on avait écrit, mais le cinéma, ce n’est jamais rien d’autre que cela : s’adapter à l’imprévu et en tirer le meilleur.

Extrait d’une interview du cinéaste et de son actrice principale, parue dans le Monde du 5 août 2020

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La Party

La Party réalisé par Blake Edwards en 1968

Synopsis

Un acteur indien extrêmement maladroit détruit un coûteux décor lors du tournage d’un film. Le producteur le renvoie et demande à son assistant de l’inscrire sur liste noire. Suite à un quiproquo, l’acteur se retrouve finalement sur la liste des invités à une soirée huppée. Commence alors une série de gags provoqués par ce monsieur catastrophe. La soirée ne se déroulera pas comme prévue et sera mouvementée !

 

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En un peu plus

Fans de Mister Beans, ce film est pour vous ! Considéré comme un classique de la comédie, les gags s’enchaînent et sont surtout visuels : chutes, inondation, animaux … Le réalisateur, Blake Edwards, est connu entre autres pour avoir réalisé Diamants sur Canapé et la série des Panthère Rose, avec Peter Sellers qui incarne ici le personnage principal.

Le film se déroule principalement en huis clos dans une jolie maison possédant moulte fontaines, piscines et systèmes robotisés; les costumes, les coiffures et la musique très sixties apportent quant à eux leur charme vintage.

Je dois admettre que j’ai vu pour la première fois ce film sans en attendre quoi que ce soit et l’effet de surprise a bien fonctionné puisque je l’ai adoré. Ce fut ensuite un plaisir de le regarder de nouveau et de le partager à d’autres personnes. Le film comporte beaucoup d’improvisation, on passe un très bon moment devant, et certaines scènes me font toujours rire aux éclats : la maison qui se détraque, la perte de la chaussure dans les canaux aquatiques de la maison, l’inondation dans la salle de bain, le repas sur une chaise trop petite, le perroquet…

Attention, ce film est accusé de racisme envers la culture indienne. Le personnage principal du film, censé être un acteur indien, répond à plusieurs stéréotypes; il ne parle pas très bien anglais, il se tient mal, … . Et l’acteur qui l’incarne, Peter Sellers, est d’origine anglaise et est grimé en “Indien” avec force fond de teint marron. On est encore en 1968 à l’époque.

Où le trouver

Disponible en VOD sur Youtube, Google Play, Canal +

Marie Mathivet

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Les Amants crucifiés

Les Amants crucifiés Réalisé par Kenji Mizoguchi en 1954

Synopsis

XVIIe siècle. Mohei est le brillant employé de l’imprimeur des calendriers du palais impérial. O-San, la jeune épouse de son patron, sollicite son aide pour éponger les dettes de sa famille car son mari est trop avare. Mohei accepte et emprunte l’argent sur la commande d'un client. Dénoncés et menacés d’adultère, Mohei et O-San vont devoir fuir avant de s’avouer l’un l’autre leur amour.

En un peu plus

Mizoguchi fait une critique de cette société japonaise du XVIIe siècle, en montrant qu'elle est fondée sur la réputation, la place sociale de chaque personne. De plus, elle est fortement influencée par l’argent qu’on en possède ou pas, que l’on achète, que l’on en prête ou non. C’est pourquoi, la peur du déshonneur guide les protagonistes. Dans cette société, les sentiments fraternels et/ou amoureux ne sont pas naturels, toujours contraints, imposés par la famille(mariage arrangés par les anciens), ou par les relations entre employé/employeur. La mise en scène est impeccable et très tranchante entre ces intérieurs rigides et ces extérieurs très souples. Ces deux champs montrent que seul à l'extérieur, la véritable rencontre entre deux personnes peut se construire, se fortifier jusqu'à son paroxysme, la naissance d’un amour inattendu, fou et destructeur. J’ai personnellement été cueilli, surpris par cet amour fou car je n'avais aucune connaissance de ce film ni de ce réalisateur. Cette passion m’a littéralement retourné par ces situations humaines et ce destin annoncé dans le titre même du film. Il y a une réplique qui résume ces quelques lignes “je n’ai jamais vu Madame si heureuse”: elle qui avait tout dans son mariage; pour le fuir pour vivre enfin cet amour avec l’employé de son ami. Ce choix la couvre de déshonneur ainsi qu’à son ami. Mais elle sera riche, aimée et respectée comme jamais. J’ai lu cette citation d’Eric Rohmer : « S’il nous touche de très près, ce n’est pas parce qu’il démarque l’Occident, mais parce que, parti de fort loin, il aboutit à la même conception de l’essentiel. » Étant sensible à la qualité visuelle du film, la restauration en 4K est juste magnifique. Le travail est perceptible lors certains plans sombres ou ceux en exterieur nappés de brouillard.

Où voir ce film rare ?

Je vous propose de découvrir ce film qui est proposé par la cinetek dans le cycle mensuel Passion. le cycle comporte 9 autres films dont “La femme d’à coté” de François Truffaut, “Brève rencontre” de David Lean….) Ce film est aussi disponible en DVD/Blu ray.

Christophe Germain

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La fleur de l’âge / Rapture

La fleur de l’âge / Rapture – John Guillermin – USA – 1965

Il est des films dont on se demandera toujours pourquoi ils sont demeurés totalement oubliés. C’est le cas pour La fleur de l’âge, de John Guillermin. En effet, il n’est jamais ressorti sur les écrans chez nous depuis mai 1966, ni jamais passé à la télévision. John Guillermin (1925–2015) est un réalisateur d’origine anglaise surtout connu pour ses films à grand spectacle, le plus célèbre étant sans conteste La tour infernale en 1974, une référence du film catastrophe au casting de stars incroyable. C’est un spécialiste du film « grand public » puisqu’on le verra réaliser plusieurs Tarzans, deux King Kong dont un en 1976 avec un fringant Jeff Bridges et une pétillante Jessica Lange. Il touche à tous les genres : guerre avec Le pont de Remagen en 1969, le policier avec Mort sur le Nil en 1978 avec Peter Ustinov dans le rôle d’Hercule Poirot, le western avec El Condor en 1970 ou même le cinéma d’exploitation avec Shaft en Afrique en 1973. Force est de reconnaitre que certains de ces films ne sont pas très bons son dernier, King Kong Lives en 1986 est à peu près aussi ridicule que celui de Peter Jackson en 2005, c’est dire. Malgré cela, il a aussi tourné quelques films plus personnels et très intéressants comme Guns at Batasi en 1964, un des rare films à traiter de la décolonisation en Afrique, qui voit un officier britannique de l’armée coloniale, brillamment interprété par Richard Attenborough, manquer de faire échouer toute la délicate transition politique et militaire vers l’indépendance, incapable de comprendre les changements du monde qui l’entoure et voyant le sien s’écrouler.

Alors pourquoi regarder La fleur de l’âge ? Parce que La fleur de l’âge est, comme il l’a déclaré dans une interview, le film préféré de John Guillermin ce que l’on comprend aisément quand on voit à quel point il diffère du reste de sa filmographie. On peut même aller jusqu’à dire sans trop s’avancer que c’est son meilleur film. Le thème de l’histoire est assez classique : l’éveil à l’amour et le passage de l’adolescence à l’âge adulte d’une adolescente solitaire. Le scénario est tiré d’un roman de l’écrivaine anglaise Phyllis Hastings, Rapture in my Rags publié en France sous le titre L’épouvantail (Del Duca, 1961). Le traitement adopté dans le film arrive à éviter les écueils du genre par une approche très onirique à la limite du fantastique parfois et par une complexité des rapports tissés entre les quatre personnages, en particulier ceux unissant Agnès à son père.

Parce que ce film, bien que rassemblant une équipe des plus hétéroclite est une parfaite réussite tant d’un point de vue formel qu’esthétique. En effet, si c’est un film américain, il est produit par un français, Christian Ferry, réalisé par un anglais, avec une équipe technique franco-américaine et un casting international. L’action du film est transposée d’Angleterre en France dans les magnifiques paysages de la côte bretonne filmés dans un scope noir et blanc somptueux du chef opérateur français Marcel Grignon à qui l’on doit des films comme Paris brûle-t-il ?, Cent mille dollars au soleil (aussi dans un scope noir et blanc somptueux) tout comme la série des Fantômas et des OSS 117 plus hauts en couleurs ! La réalisation de Guillermin est à la hauteur avec un usage du scope excellent alternant les plans larges magnifiant les décors et paysages, usant d’angles de vue souvent recherchés et de mouvements de caméras élaborés conduisant à nombre de plans-séquences des plus réussis et contrastant avec des gros plans souvent fulgurants sur les visages des acteurs, au plus près des émotions. Noter à ce titre le travail sur les séquences se déroulant en ville au montage et à la réalisation (focale, angles, enchaînements, découpe, musique) totalement différents du reste du film accentuant la détresse d’Agnès.

Parce que la musique est de Georges Delerue qui reste l’un des plus grands compositeurs de musique de film français qui là encore fait preuve d’un immense talent tant sa partition magnifie de nombreuses séquences du film. Parce que les acteurs sont bons. Le talent de Melvyn Douglas n’est plus a démontré depuis son oscar obtenu l’année précédente pour son rôle dans Le plus sauvage d'entre tous de Martin Ritt, il en obtiendra un second quelques années plus tard. Il campe ici le personnage d’un père détruit par l’amour sans retour pour une femme et sa trahison des idéaux de justice qui étaient les siens. Dean Stockwell a déjà une longue carrière d’enfant star derrière lui et entame sa seconde carrière dans un registre plus exigent marqué par son interprétation dans Le long voyage vers la nuit de Sidney Lumet en 1962, remarquable adaptation de la pièce d’Eugene O'Neill, qui l’oppose à Katharine Hepburn quant à elle certainement dans son plus grand rôle. Son personnage de séducteur au final bien fragile est très bien joué avec toute la mesure nécessaire. Gunnel Lindblom, qui vient de nous quitter en janvier dernier, fait partie des actrices fétiches d’Ingmar Bergman et on a pu l’admirer dans La source en 1960 et Les communiants en 1963. Elle est parfaitement juste dans le rôle de Karen.

Et enfin parce qu’il y a Patricia Gozzi. Patricia Gozzi à 15 ans quand elle tourne ce film et le moins qu’on puisse dit c’est qu’elle montre ici un talent d’actrice assez exceptionnel d’autant plus qu’elle joue en anglais. Sa présence à l’écran est incroyable tant elle semble totalement imprégnée par son personnage, elle « vole » littéralement chaque plan dans lequel elle apparait et d’ailleurs Guillermin l’a bien compris lui aussi et en profite au maximum. Patricia Gozzi avait été révélée trois ans plus tôt en 1962 dans le bouleversant Les dimanches de Ville d'Avray de Serge Bourguignon. Elle y jouait un rôle de Cybèle, d’ailleurs assez proche de celui d’Agnès, une jeune adolescente un peu trop mature marquée par la vie qui se mettait à entretenir une relation trouble et ambigüe avec un homme plus âgé traumatisé par la guerre et en manque total de repères (un excellent Hardy Krüger). Le film, bien que très bon, avait été boudé en France car on était en pleine Nouvelle Vague et que ce film que hante de bout en bout la rumeur et la suspicion de pédophilie n’était pas vraiment dans l’air du temps. Par contre, une fois n’est pas coutume, il avait été acclamé aux Etats-Unis ce qui avait ouvert les portes d’Hollywood à Bourguignon (qui malheureusement n’y perça pas) et fait connaître Patricia Gozzi qui y était déjà remarquable malgré son jeune âge. C’est ce qui lui a ouvert les portes de La fleur de l’âge où elle est encore plus impressionnante. Après ce film, Gozzi cessera vite le cinéma après son mariage et se consacrera au monde des affaires et à sa famille. A la vue de La fleur de l’âge on est en droit de penser que le cinéma hexagonal a peut-être là perdu une grande actrice.

C’est après avoir vu Les dimanche de Ville d’Avray que j’ai eu envie de voir le second film de Patricia Gozzi, que j’ai réalisé l’oubli dans lequel La fleur de l’âge était tombé chez nous et que j’ai découvert qu’il avait été restauré et édité en Blu-Ray outre-manche. Je me suis empressé de l’acquérir (il était encore disponible à l’époque) et je n’ai pas été déçu ! Un véritable coup au cœur !

POUR VOIR LE FILM Si vous avez l’envie de partager ce coup de cœur, le film est visible (en V.O. sans sous-titres) gratuitement sur Youtube. Qui plus est, la qualité est plutôt bonne… pour une vidéo Youtube s’entend.  Sinon il est introuvable en France. Le film, qui a été (très bien) restauré était disponible en deux éditions limitées Blu-Ray (chez Twilight Time, USA) et combo Blu-Ray/Dvd en Angleterre (chez Eureka Classics) L’édition anglaise est de meilleure qualité mais elles sont toutes les deux épuisées et disponibles uniquement d’occasion et malheureusement dans une gamme de prix prohibitive. En espérant, un jour, revoir ce film comme il le mérite, sur grand écran…

Rolland Douzet

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Mademoiselle de Jonquières

Mademoiselle de Jonquières, Emmanuel Mouret, 2018. disponible sur ARTE VOD gratuite jusqu’au 16 février.

Ne le ratez pas! Dès le début, j’ai été saisi puis baladé de surprises en surprises sans ménagement jusqu’à l’effroi, quand les douces liqueurs et les beaux atours se muent en venin et en linceul en parvenant à mêler le complexe des situations et le limpide des images…

J’ai été pris par une scène d’ouverture intrigante et belle à souhait (qui se révèle être un plan séquence très maîtrisé) une voix d’abord, une voix de femme qui énumère, faussement admirative une longue liste de noms, un couple vient vers nous, élégants et légers dans le décor idéal d’un parc aux arbres centenaires, un couple qui vient de loin, du fond du cadre et du profond des siècles. Elle pourrait chanter il catalogo è questo, la liste des conquêtes de Don Giovanni ( tiens, un contemporain)… Lui, le libertin, flatté, reste séducteur, semble mener le jeu… Pas pour longtemps.

Plus que pris, happé, chopé, je me suis surpris à me rapprocher de l’écran pour pas en manquer une miette. Des ingrédients connus s’invitent et s’imposent, en quelque sorte naturellement : désir, séduction, jeux de pouvoirs, déception, ressentiment, manipulation, machination, emprise, cruauté mais aussi rapports de classe et la persistance d’une troublante sincérité, de la recherche pour chacun de sa vérité, quel qu’en soit le prix.

Millefeuille de vengeance et de haine, vengeance amoureuse, vengeance de genre combinées à une vengeance de classe… Les valeurs, les personnes, les sentiments sont piétinés sans la moindre pitié… Et la fluidité de la caméra agit comme un mirage trompeur, hypnotisant, d’une ironie grinçante, sous le beau décor, ça grouille…

L’oeuvre d’un entomologiste, cependant capable d’humour loufoque (ah! les deux fauteuils…) Les mots aussi sont acteurs - et les silences, donc - dans cette langue française magnifique du XVIII ème siècle, ceux/celles qui la maîtrisent, ceux/celles qui la subissent, ceux/celles qui la chuchotent, ceux/celles qui se taisent…

Ce moment, fugace, où au détour d’un couloir, le simple geste d’un domestique et le tempo qui l’accompagne, suffisent d’abord, à intriguer sur le statut de la personne introduite mais aussi à l’indiquer, sans fard, ça, c’est du cinéma. Et à un autre moment, le titre qui prend sens, la seule ligne droite, mais implacable, du film. La cruauté n’est pas l’apanage des brutes et le raffinement n’exclut pas, loin de là, les projets les plus noirs et les plus dénués d’humanité… Rien de manichéen, bien malin qui pourra tracer une ligne entre le bien et le mal…

La violence d’une situation ne se mesure pas forcément à la quantité d’hémoglobine répandue, oh! que non…Ce qui n’empêche nullement d’apprécier Tarantino et son cinéma…

Enfin le plaisir vient aussi de la qualité des interprètes, tous, toutes, Emmanuel Mouret grand directeur d’acteurs assurément… Ah! n’oublions pas, cinéphiles nous sommes…Des liens de parenté avec, par exemple La religieuse (d’après Diderot également), le terrifiant Les proies de Don Siegel, Que la fête commence de Bertrand Tavernier pour l’analyse politique et historique, Ridicule de Patrice Leconte, Barry Lindon et bien sûr, le Renoir de La règle du jeu. Pas moins… “Ce qui est terrible dans ce monde, c’est que tout le monde a ses raisons.”

Daniel Buisson, 11 février 2021.

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